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Introduction

Cette première partie du site a pour ambition d'enseigner l'approche contextuelle, elle prend le parti  de ne pas exposer les grandes notions de  parentification, conflit et clivage de loyauté, légitimité inventées par Boszormenyi-Nagy. On les explore à partir de l'angle particulier d’interpellations qui donnent à penser en produisant de nouvelles façons de s'interroger sur nos liens avec nos proches.

Ces modalités  permettent au lecteur de méditer sur des épisodes et séquences de sa vie en lien avec les siens et ses ascendants. Elles lui ouvrent la possibilité d'un dialogue interne pour revisiter sa propre histoire de vie personnelle dans son contexte relationnel familial. 

Quelles auraient pu être « les questions pertinentes posées à un membre de ma famille d'origine qui m'auraient aidé(e) à tel ou tel âge de ma vie d’enfant ou d'adolescent(e) » ?

Quel serait le thème, l’axe sur le donner et recevoir qu'il serait possible d'ouvrir au sein de ma famille actuelle et en lien avec ma famille d’origine?

Quelles seraient les racines de mon métier du soin ou de l’éducation?

 

Les  formulations présentées, permettent aux professionnels de l’aide d’ouvrir un dialogue particulier entre les membres d’une famille, d’un couple ou d’un groupe. 

Comment chacun selon son identité professionnelle s’autorise-t-il à élargir sa palette d'interventions pour ouvrir un dialogue sous un angle nouveau et particulier. 

La compétence d'un consultant, sa qualité d'aidant repose plus sur sa capacité à se poser des questions qu’à certifier des  points de vue ou des interprétations, mais on peut affirmer qu’elle tient plus encore à son courage à oser les formuler à l'un des membres de la famille.

Les questions sont proposées dans des termes généraux. Une majorité sont extraites des consultations thérapeutiques de Boszormenyi-Nagy produites devant un auditoire en formation. Le thérapeute, le consultant aura à les spécifier, les adapter au déroulement de la singularité de chaque entretien.

La tâche est de trouver les mots qui traduisent en justice, permettent et autorisent une prise en compte, une énonciation plus consistante, plus vraie de l’entrecroisement des échanges. Il y a là l'originalité de l'approche contextuelle: les verbalisations proposées concernent les thèmes de l’équité, de la fiabilité, de la mutualité, de l'injustice, de l'exploitation etc. Ces thèmes soulèvent bien évidemment des émotions vives. L'accent n'est pas mis sur le bénéfice de l'expression de celles-ci mais sur l'évaluation de l'équilibre de la justice dans la relation.

 

Les questions sont formulées à la suite des propos amorcés par un membre de la famille dans le but de donner « poids » à ses « avances » de paroles et prolonger sa « mise verbale ».  Les échanges ébauchés entre proches sont pris alors dans les mailles d'un discours qui les densifient. 

Ces questions sont toujours assorties de l’exigence d’exemples et de précisions concrètes: 

«J’aimerais en entendre plus sur ce point de votre part, pouvez-vous donner un exemple de ce que vous venez de dire, je vous laisse le temps de réfléchir à un tel exemple».

L’interpellation émanant du consultant, la réponse d'un sujet de la famille n'ont de pertinence que d'être énoncées au sein du groupe familial. Elles sont pour chacun l’occasion d’un examen multilatéral de la situation. Nuançons: les adresses du consultant visent une réponse bien évidemment mais elles sont là aussi pour donner à penser à réfléchir,  à élaborer des options pour interpréter la dynamique de l’échange; par exemple Boszormenyi-Nagy peut dire : 

« une telle question vous paraît-elle avoir un intérêt, vous n'êtes pas obligé d'y répondre mais vous pouvez y réfléchir»? 

« Pensez-vous qu'un enfant peut avoir en tête une réponse à la question que je vais vous poser:  Lequel de vous deux a eu la vie la plus difficile,  pensez-vous que cette question ait un sens pour comprendre vos relations de couple? » 

« Pensez-vous qu'un enfant de l'âge du vôtre, peut se sentir concerné et impliqué par la souffrance du couple de ses parents? Y a-t-il là pour vous une vraie question? »

Ces questions au sein de l'entretien visent à une lecture commune du « grand livre des comptes relationnels » ou du « registre des mérites ». Elles invitent à un regard croisé sur les mouvements de la « balance du donner, recevoir rendre et demander », entre les  contemporains qui vivent ensemble et en lien avec les ancêtres et les futures générations. 

Il s’agit de penser et dire la balance entre le donner et le recevoir en recrutant dans la langue ordinaire, les mots qui énoncent l’entre-deux relationnel et reconnaissent la tension dysharmonique « du trop ou du pas assez », sans oublier les mots qui formulent le déséquilibre stagnant. Il y a l’idée pour Boszormenyi-Nagy qu’une fixité des plateaux, une permanence d'une modalité d'échanges déséquilibrés produisent un « croupissement relationnel », facteur de pathologies. Les questions ouvrent à une parole qui dit la relation en termes de justice et moins en expression des sentiments qui surgissent du constat de l'échange.

Faut-il dire qu’il n’y a absolument pas là un questionnaire type, un protocole à appliquer, mais plutôt un exercice d'appropriation pédagogique et formatif des modalités d’interpellations de l’approche contextuelle. 

Chaque lecteur pourra jauger à l'aune de sa sensibilité et de sa formation:  jugera-t-il un tel cheminement incompréhensible, excessivement direct, intrusif ou pertinent mais réservé à l'inventeur de la thérapie contextuelle dans des séances de démonstration de famille particulièrement compliantes? D'autres lecteurs pourront se retrouver et s’étonner de faire depuis toujours de l'approche contextuelle, comme Monsieur Jourdain, sans le savoir.

 

Ouvrir au hasard, feuilleter, s’arrêter, telles sont les  propositions faites au lecteur. Par cette approche non systématique, au coup par coup, en zigzague avec des pauses, se dessine un autoquestionnement, une méditation intime et peut-être des « reprises  de paroles » adressées par le lecteur à ses proches.  Ce dernier ne s’étonnera pas des formulations répétitives ou voisines;  la plupart sont volontaires, elles montrent l’intrication des concepts et l'opportunité d'évoquer les rapports familiaux sous diverses langues.

 

Il y a là par une amplification signifiante autour du donner-recevoir-rendre-demander-prendre, une tentative pour lever une part de l'équivoque du langage autour de ces notions. Rendre la question possible, la faire exister au sein de la famille c'est la moitié du travail déjà exécuté, une réponse rapide serait le « malheur de la question ».

 

Que donnent les enfants, que dire et faire de leurs soutiens, sollicitude et contributions? La recherche d'une réponse  anime le monde de l’éducation, du soin et  de la protection de l’enfance, elle devient l'axe majeur de la maturité de l'oeuvre de Boszormenyi-Nagy.

 

De tous temps, les générations montantes ont été un appui pour leurs parents, en accomplissant des services, en les rendant fiers de leurs réussites et en devenant leur bâton de vieillesse.

De nos jours, l'enfant contemporain rend peu de services mais il devient le lien le plus stable des adultes isolés aux rapports éphémères; ses contributions prennent la forme d'un « engagement  psychique » dans le présent, d'un « secours relationnel » immédiat devant la fragilité des liens conjugaux.

Cette (re)découverte des modalités d'engagements de l'enfant  « démesurément donneur » bouscule nos pratiques, normes et évidences théoriques. Boszormenyi-Nagy revisite notre représentation de l'enfance. 

Sujet apportant, concerné, l'enfant se dévoile dans la clinique comme capable de « prendre soin », de contribuer, de s'accommoder pour être au service des besoins de ses parents, de donner priorité à un autre de sa famille "avant lui-même". Même démuni dans une détresse originelle, il n'est pas seulement une cible avide de recevoir, il anime le groupe familial, il est capable de réciprocité. Plus encore, « l'enfant devient parent de ses parents » : il s'érige en « premier tribunal de l’humanité » tentant de réparer les injustices vécues  par les siens. Il tente d'être le porte drapeau de leurs idéaux, il s’essaie d'être thérapeute des troubles psychiques de ses géniteurs. Enfant « herméneute précoce »,  « enfants météo », « expert en émotions parentales », « pansement du couple », « antidépresseur ». Il est dispensateur de soins, vigilants à répondre aux manques et rêves abandonnés des adultes. 

 

Comment dans nos pratiques de soins ou éducatives peut-on aider l'enfant à aider ses parents et ne pas l'abandonner ou lui reprocher ses tentatives de prendre soin des adultes. Autrement dit, comment aider, guérir un enfant qui veut lui aussi aider et guérir?

La plupart des références psys repèrent la figure de l'enfant capable de gratitudes, mais en les analysant sous l'angle d’une culpabilité ou de l'exploitation des adultes. Beaucoup d'approches ne retiennent que l'omnipotence ou la toute puissance d'un enfant qui se fixe des missions au-dessus de ses compétences. D'autres voient les parents comme des « usuriers psychiques »  aliénant l'enfant à un soutien onéreux pour son développement mais indispensable à l’économie relationnelle du couple. 

La pratique de la thérapie contextuelle que l'on découvrira ici, nous invite à accueillir autrement la sollicitude infantile sous ses différentes facettes, à la repérer pour aider les parents à la créditer. L’approche contextuelle  vise à aider les enfants à aider les parents, à ne pas laisser les enfants seuls dans leurs tentatives de soutenir leurs proches vulnérables.

 

« La crise de la mesure » du donner et du recevoir  dans les rapports parents enfants nous invite à retrouver l’ancien enfant parentifié que nous avons peut-être été.

La pensée débute  fréquemment par une interrogation personnelle: quel est mon compte avec la vie, le destin et mes proches? Elle demeure par la question de la mesure des échanges entre proches. Qu'est-ce que je dois et à qui? Pourquoi moi? Pourquoi suis-je voué à telle faveur ou telle injustice des miens ou du destin? Comment est-il possible de compter sur un proche et surtout que l'on compte sur moi, comment est-il possible de ne pas rendre des comptes? Pourrais-je rendre à ceux qui m’ont tant donné?

« Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit lorsque vous ne dormez pas? » Il y a là  une interrogation existentielle de chacun face au monde même si chaque vie individuelle dépasse toute évaluation. 

 

Le repérage, le déchiffrage en commun de l’échange sont rétrospectifs; ils sont nécessaires après-coup, après les moments de tension ou de déséquilibre récurrents de la balance du donner de recevoir et du rendre. 

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